Nouvelles

Le trafic d’organes humains : la pauvreté peut-elle compromettre la dignité humaine?

  • 19 mars 2021
Célestin Ngoré GALI
 
 
Le trafic des organes humains est un phénomène mondial qui rapporte beaucoup d’argent et qui prend de plus en plus de l’ampleur en Afrique. Selon les Nations Unies, l'Égypte est l'un des pays les plus touchés au monde par ce trafic après la Chine, les Philippines et l'Inde. Un rein acheté à environ 2 000 euros à des donateurs pauvres est vendu six fois plus cher, aux riches originaires des pays du Golfe.
 


 
 
Tout marché naît d’un besoin. Le trafic des organes humains est né de la pénurie d’organes pour les patients en attente pour se faire greffer les reins, les poumons, le cœur, etc. Ce commerce est florissant dans le noir. Il vise particulièrement les populations vulnérables et pauvres et est souvent exercé par des réseaux mafieux.
Qui sont les vendeurs et les acheteurs?
Les recruteurs des vendeurs d’organes en Afrique se trouvent principalement  au Caire, selon les représentants des communautés de migrants, interrogés par L’Express. L’Egypte a des hôpitaux performants qui accueillent des malades riches, souvent originaires des pays du Golfe, prêts à payer beaucoup d’argent en échange d’un organe sain. Dans ce pays aussi se trouve la plus grande partie de l’offre, parmi les égyptiens pauvres, mais surtout, les migrants et réfugiés qui attendent, souvent pendant des années, une réponse à leur demande d’asile.
Il y a aussi des personnes qui décident eux-mêmes de vendre une partie de leur corps. Mais la vente par consentement fait face à un débat éthique que nous n’allons pas aborder ici. En droit, la vente d’organes est assimilée à un cas de «préjudice consenti». Mais souvent, le vendeur ne voit pas nécessairement la vente d’une partie de son corps comme un préjudice puisqu’il en obtient de l’argent.  Dans ce groupe de vendeurs consentant, il y a aussi ceux qui vendent à cause de la pauvreté.
Ces derniers temps, on trouve des annonces de ce marché sur le net. Sur «Huffington Post», par exemple, un un site d’information américain, on peut lire des annonces comme:«Parnécessité financière je vends un rein, mon foie ou quoi que ce soit.  Homme de 30 ans en bonne santé groupe o+ disponible à toute heure ou tout moment. Annonce sérieuse, c’est par nécessité économique. Je suis sur la rue…. Certains jours je dors sous un toit, si je peux, et d’autres, dans la rue”. Il dit être au chômage depuis 2 ans, avec une femme et une fille de deux ans; ce qui l’a poussé à décider de poster son annonce.
 
Question de fric
Une ONG espagnole, FACUA Association pour la Défense des Droits des Consommateurs, informe que sur le marché des organes humains, ce sont les reins, les poumons et la mœlle qui sont les plus vendus. “Des personnes en vendent pour des sommes allant de 15.000 à 1 million d’euros”. Selon la même source, des dizaines de personnes désespérées en sont désormais réduites à vendre. Leurs organes sur Internet. Par exemple: “Je vends mon rein contre 120.000 euros ou bien un de mes poumons en échange de la prise en charge de mon crédit immobilier...” Il s’agit d’annonces passées à travers 13 sites internet, par des espagnols et des immigrés d’Amérique Latine.
Le journaliste et environnementaliste  camerounais François Tekam pointe aussi du doigt les pays africains comme le Cameroun et le Nigeria dans son article paru dans «Pressenza-international Presse Agency, «Cameroun: Des organes humains vendus à la sauvette». Le Nigeria serait en première ligne, dans un commerce qui met à l’épicentre des pratiques mystiques. Les ossements serviraient alors à fabriquer des potions magiques traditionnelles pouvant soigner des maux ou jeter un mauvais sort.
La migration « super marché »des organes humains
A ce trafic toujours très actuel est associée la vente d’êtres humains par morceaux. Ce commerce, qui est né de la pénurie chronique d’organes, se développe. La journaliste française basée au Caire, Vinciane Jaquet, relate pour L’Express, l’histoire d’un jeune soudanais qui s’est fait voler un rein pendant une opération chirurgicale. «Je n’avais pas de choix”, explique Wahib. Il accepte et, quelques semaines plus tard, le voici au Caire, libre, mais sans papiers.
À peine arrivé, pris de panique, il se plaint des maux de ventre et supplie son passeur de le transporter à l’hôpital: “D’examen en examen, j’ai reçu des explications que je n’ai pas compris. Ils ont fini par m’opérer.” Quelques jours plus tard, il est abandonné dans un appartement miteux, d’où il est expulsé peu après. C’est dans un bidonville du Caire qu’il découvre un compatriote qui lui apprend l’impensable: “Tout le monde dans le quartier, sauf moi, savait ce qui s’était produit pendant l’opération... Ils m’avaient prélevé un rein».
Une enquête de l’agence de presse italienne ANSA confirme que le phénomène est en nette progression sur le continent africain. Les réfugiés et les migrants y sont forcés de vendre leurs organes, les reins en particulier, pour pouvoir payer le prix de la traversée clandestine de la Méditerranée en vue de gagner l’Europe.
 
Les conséquences sanitaires
Les conséquences sanitaires de l’extraction d’un organe sont irréversibles et fatales. Ce «tourisme de transplantation» était l’une des thématiques au cœur du symposium ‘Globalisation and commodification of the human body: a cannibal market’. Il a été constaté que plus   de 80% des donneurs subissent une baisse considérable de leur qualité de vie en raison de l’altération de leur état de santé suite au prélèvement, et de l’incapacité de travail secondaire, à l’intervention et à l’absence de suivi médical. La Coalition for Organ Failure Solutions (COFS), une Coalition pour la résolution des problèmes de santé liés aux insuffisances organiques, qui lutte contre le trafic d’organes, abonde dans le même sens : 78% des donneurs d’organes égyptiens voient leur état de santé s’aggraver à la suite de leur opération, et 73% d’entre eux sont moins aptes à s’acquitter des tâches, particulièrement physiques.

La loi, quant à elle…
Les autorités des pays donneurs ont un double rôle: informer et sensibiliser la population sur le trafic d’organes et réprimer les auteurs de ce crime. En faisant de l’être humain une marchandise soumise aux lois du marché, le trafic d’organes ne respecte ni l’homme dans son intégralité et sa dignité, ni les principes fondamentaux de la bioéthique.
En 2000, l’ONU avait produit un texte, avec le protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes. L’Assemblée Générale a pris position par une résolution de 2004 déplorant “la commercialisation du corps humain”, et demandant aux États membres d’adopter des législations idoines. Mais cette résolution n’a guère été suivie d’effets. Malgré tout, on voit un consensus s’affirmer, et la règle du consentement figure en bonne place dans la Déclaration Universelle sur la Bioéthique et les droits de l’homme de l’Unesco de 2005.
 

Partagez cet article