Nouvelles

Les musiciens engagés

  • 7 septembre 2020
Par P. Jean-Claude Kobo

Texte initialement publié dans la revue Afriquespoir Avril-juin (n°90)
 
 
La musique comme production culturelle et forme symbolique participe de la vie sociale et politique d’un peuple ou d’un pays. Elle accompagne des célébrations et des rites, incite à la violence et au combat; bref, elle révèle des processus sociaux et politiques.
 
La colonisation, l’urbanisation, les bouleversements consécutifs aux indépendances…, ont résonné dans d’innombrables musiques inventées aux quatre coins du continent au long du xxe siècle; et cela, qu’il s’agisse de la rumba congolaise du mbalax sénégalais, du zouglou ivoirien du Wassoulou du Mali ou d’autres types de musique d’inspiration américaine ou latino-américaine, comme le Zouk, le Jazz, le Hip hop, le rap, etc.

En pleine colonisation
La chanson du congolais Joseph Kabasele d’Africa Jazz, connu sous le pseudonyme ‘Grand Kallé’,  “ Indépendance cha cha O’ Table ronde Cha cha ” composée pour saluer la célébration du jour de l’indépendance de la RD Congo (30 juin 1960), s’imposait aussitôt comme l’hymne des mouvements anticolonialistes dans toute l’Afrique noire. Le chant fut même considéré comme le premier tube panafricain. Qu’on se rappelle, sans prétention d’exhaustivité, de l’implication  des musiciens contre la colonisation et pour la guerre de libération du Zimbabwe, par exemple, et dans d’autres pays d’Afrique entre les années 60 et 80. Des chants associés à la communication avec les ancêtres, dotés de paroles révolutionnaires sont devenus des ‘chimurenga songs’; des chansons de lutte contre la domination du colon envahisseur. Comrade Chinx, instructeur politique dans l’armée de libération nationale du Zimbabwe (Zanla) et Thomas Mapfumo qui, après s’être modelé sur Elvis Presley et Bob Marley, sont devenus des icônes de la nouvelle musique de ce pays après l’indépendance.

Après les indépendances
Pendant la période post-indépendance, beaucoup d’artistes africains sont restés neutres ou proches du pouvoir. Mais, parfois ce rapprochement se terminait dans un ‘je t’aime moi non plus’ lorsque l’artiste franchissait le rubicon. D’autres, par contre, étaient hostiles au pouvoir en place à cause de leurs dérives autoritaires et anti-démocratiques. Franklin Boukaka, au Zaïre, qui dénonçait clairement le néo-colonialisme dans les années 70. Une complicité qui se remarquait dans le soutien aux dictatures qui  étaient installées de façon durable, presque dans tous les pays du continent. Certains musiciens avaient même acquis une notoriété internationale grâce à leurs chansons révolutionnaires.
C’est le cas du nigérian Fela Anikulapo Kuti, qui a su renover la musique populaire nigériane. Dans ses tubes, comme « Everybody want do power show / Na wrong show : tout le monde veut être sur la scène du pouvoir mais le spectacle y est détestabl. Il dénonçait les corrompus et tous les « zombies » à la dépendance du pouvoir et de leurs mentors. Ces critiques lui ont valu les foudres  du pouvoir en place dans son pays.



Le chanteur sénégalais Youssou-NDour en concert
 
 
Crimes et besoin de démocratie
Ils dénoncent les crimes politiques et la course au pouvoir, les crimes économiques, la corruption éhontée des politiciens, la paupérisation de la majorité du peuple…, l’exploitation du faible par le puissant…
Dans “This is Nigeria”, l’artiste musicien Falz the Bad Guy dénonce les maux du Nigeria: corruption, facilité, conflits intercommunautaires, Boko Haram, laxisme du gouvernement. Alors que le Nigeria se préparait à la présidentielle de février 2019, la chanson a été réduite au silence par le gouvernement de Muhammadu Buhari.
Les musiciens d’aujourd’hui sentent le besoin d’une démocratisation et d’un développement en profondeur qui commence par un grand changement de mentalité visible et non de façade, qui implique une remise en question des habitudes que l’Afrique vit dans un suivisme sans précédent.
Aux chefs d’Etats qui veulent à tout prix torpiller les Constitutions de leurs pays pour s’éterniser au pouvoir, les musiciens sont unanimes…. « Dégage», comme l'énnonce clairement le titre d’un tube composé par Bob Elvis.
Le délabrement des infrastructures qui se vérifie aussi dans la corruption des mœurs inspire les hommes de la chanson. Dans « C’est payant… », l’ivoirien Bop de Narr dénonce dans le showbiz des femmes dénudées, un commerce masqué de leur corps sans que cela interpelle les hommes du pouvoir. Mais ce sont les musiciens congolais Bob Elvis  avec « Oyo Eza Congo et Anti médiocrité » et Alain Chirwisa ou Alesh dans son single « Biloko ya boye, bozo mona te… Toko voter lisusu… (Pareilles choses vous ne voyez pas ?... Nous allons encore voter)…». Ils accusent le comportement individuel et collectif mais surtout le mensonge des gouvernants qui sollicitent le vote de leurs peuples et oublient leurs promesses électorales, une fois au pouvoir.

Participation réelle à la gestion du pays
Certains musiciens ont pris le courage de défier le pouvoir en place en se faisant eux-mêmes candidats à la magistrature suprême. C’est pour montrer l’influence que peut encore avoir une musique engagée face au pouvoir en place.
Surnommé “le roi du ghetto”, le chanteur ugandais devenu député, Bobi Wine, a gagné en popularité politique en dénonçant à coups de morceaux musicaux le régime du président Yoweri Museveni.  Au Sénégal, Youssou N’dour, s’est lancé à la course à la magistrature suprême. Lorsque sa candidature a été rejetée par le gouvernement Wade, il a soutenu la candidature de Macky Sall pour qui il est devenu ministre de la culture et du tourisme. 
Parfois ce sont les relations avec la métropole que les artistes musiciens récusent. Le chanteur malien Salif Keita accuse la France de financer des actes jihadistes. Droit dans ses bottes, il demande à Ibrahim Boubakar Keita de réagir ou de démissionner s’il continue de suivre  « Ce gamin comme ça de Macron» en la personne du président français. Le Franc CFA est aussi un autre argument qui agite les relations déjà tendues de l’Afrique de l’Ouest depuis quelque temps.



Le chanteur malien Salif Keita

 
Le titre “sept minutes contre le franc CFA”, est œuvre de dix artistes de sept pays du continent, appelant à arrêter l’utilisation de cette monnaie coloniale qui permet à la France de garder l’économie de ces 14 pays en coupe réglée.
Le sort de certains de ces musiciens est parfois dramatique: des emprisonnements, des bannissements, des exils et des assassinats. Il reste à déterminer la cause de la mort du musicien rwandais Kizito Mihigo en prison. La thèse du gouvernement de son pays suscite beaucoup de doutes et d’interrogations. C’est le risque tu métier.
 

Partagez cet article