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Le trio latrine-santé-environnement

  • 3 décembre 2020
Par Jean Claude Kobo

C’est un tabou, mais il faut le dire: uriner et déféquer font partie de la vie de tout homme. Construit à l’intérieur ou à l’extérieur de la maison, dans les moyens de transport ou dans les lieux publics, «le petit coin» permet à l’homme de se soulager dans l’intimité et la discrétion. La latrine, qui évacue les excréments et contient les germes pathogènes excrétés, protège l’homme contre les maladies et assure un environnement sain. En plus, posséder une toilette en bon état donne du prestige et de la dignité à la famille; ne pas en avoir est un signe de pauvreté et provoque la honte face aux visiteurs.
 


 
Un panorama critique
Sous l'égide de l'ONU et de l’OMS, la Journée Mondiale des Toilettes fut créée en 2001. Elle est célébrée le 19 novembre de chaque année dans l’objectif de promouvoir l'hygiène et la disponibilité des toilettes privées et publiques.
En 1999,  le collectif français d’ONG « Coalition Eau » avait déclaré que le nombre de personnes faisant leurs besoins à l’air libre avait augmenté dans 26 pays du continent africain. Elle calculait que plus de 110 millions de personnes en Afrique n’avaient pas d’assainissement adéquat. Selon les commentaires de Kristel Malegue, coordinatrice de Coalition Eau, cela se justifiait par le fait que les Etats continuent de considérer la latrine comme relevant de la sphère privée et intime.
Aujourd’hui, la réalité n’a pas changé. En fait, en Afrique Subsaharienne, seuls 31% de la population dispose d’une toilette en bon état, selon le rapport du PNUD publié en 2018. Au Soudan du Sud, au Niger, au Tchad, en Ethiopie, par exemple, plus des trois-quarts de la population ne disposent même pas d’une moindre installation et défèquent à l’air libre. Le Nigeria est le pays de l’Afrique Subsaharienne qui a enregistré le plus grand nombre de personnes qui défèquent à ciel ouvert. Pour ce pays, le nombre a augmenté de 23 millions en 1990 à 39 millions en 2012. Et selon le PNUD, seulement 29% des nigérians disposent d’un système d’assainissement adéquat et seulement 32% de ses écoles disposent d’un WC en bon état.
 
Quelques exceptions
Dans les pays du Nord du Sahara -Egypte, Lybie, Algérie, Tunisie, Maroc-, la situation est satisfaisante. En moyenne, 91% de la population ont accès à un système d’assainissement adéquat. L’Éthiopie a amélioré : elle est passée de 92% de personnes déféquant à l’air libre en 1990 à 37% en 2012.  Selon le PNUD, 29% d'éthiopiens disposent des toilettes en bon état. Le Rwanda, de son côté, en 2010, s’était engagé à fournir de l’eau à 85% de la population. Aujourd’hui, 62% des rwandais disposent de toilettes en bon état -PNUD 2018-

 


 
Un problème environnemental
Selon le rapport de l’UNICEF de 2019, 375. 000 tonnes de matières fécales sont directement déposées chaque jour dans la nature. L’utilisation du bosquet comme toilette crée des stocks de déchets, qui deviennent très rapidement des réservoirs de microbes et sources de contamination pour les cours d’eau environnants. Aussi, se servir des sceaux, des sachets, des trous improvisés, des latrines mal entretenues où les déchets ne sont pas isolés ou déféquer à l’air libre pollue l’environnement, les eaux, les routes et les places publiques, etc.
Dans les grandes villes africaines, certaines zones sont infréquentables à cause des odeurs qu'elles dégagent puisqu’elles sont devenues des dépotoirs de matières fécales. Ces dernières contaminent non seulement les espaces publics, mais aussi la qualité de l’air. Aussi vider les toilettes est un sérieux problème dans les espaces urbains. Plusieurs fois, la vidange s’effectue dans les eaux de rivières, de fleuves ou dans les égouts publics, sans tenir compte des conséquences que cela provoque sur la santé des personnes  et sur l’environnement.
 
Problème de santé
La planète compte au moins 2,5 milliards de personnes sans toilettes, selon le dernier rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé. Parmi elles, 892 millions sont contraintes de faire leurs besoins à l’air libre, dans les champs, dans les rues ou dans les rivières, explique la même source, qui qualifie cette situation de «crise sanitaire».
Or, le manque d’accès à l’eau potable et à l’assainissement adéquat est un des facteurs les plus aggravants de la propagation des maladies dites hydriques. A en croire l’OMS, un gramme de matière fécale humaine peut abriter jusqu’à cent œufs de parasites, 10 000 virus -comme l’hépatite ou la polio-, jusqu’à un million de bactéries, responsables de la dysenterie, du choléra  ou de la diarrhée, etc. Chaque année près de 760 000 enfants de moins de cinq ans, soit plus de 2 000 par jour meurent de maladies provoquées par les maladies hydriques. Dans les pays de l’Afrique Subsaharienne, un enfant a « environ 500 fois plus de chances de mourir de diarrhée qu’un de ses camarades nés en Europe ou aux États-Unis », dit l’Unicef.
L’OMS de son côté avance qu’une meilleure gestion de l’environnement permettrait de sauver la vie, chaque année, à 1,7 million d’enfants de moins de 5 ans et 4,9 millions de personnes âgées de 50 à 75 ans.

Autres conséquences collatérales
Les pertes dues à l’absence de toilettes pour les pays du Sud sont multiples,. La Banque mondiale indique « qu’un dollar investi dans les toilettes en rapporte directement cinq en économie de soins de santé aux familles qui les ont construites, et le double à l’économie nationale. La même source ajoute que l’absence de toilettes coûte aux pays du Sud environ 1,5 % du PIB par an.
Au niveau scolaire, l’ONU estime que quelque 272 millions de jours de classe sont perdues par des enfants dans le monde en raison de maladies liées au manque de latrines. En plus, que les enfants aillent dans le bush pour se soulager suppose pour eux un danger, car parfois ils rencontrent des serpents et d’autres animaux dangereux, qui peuvent les mordre.
La carence de latrines est une urgence de santé publique et environnementale, à laquelle les pouvoirs publics devraient donner priorité avant qu’elle ne devienne une pandémie, alerte le journaliste français Mathieu Olivier.
 

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